Veni etiam, reviens encore
Venise est un poisson
Venise est un Théâtre
Venise est une scène, rien ne repose sur le sol. Comme la
scène d’un théâtre gigantesque, Venise
est construite sur un plancher de bois surélevé.
Son « plateau » repose sur une vaste forêt
souterraine supportant une plate-forme de madriers, le « zatterone » (qui
a donné son nom au Zaterre), immense scène de théâtre
d’où admirer les bateaux parcourant la lagune.
Pour les bâtiments, la pierre d’Istrie, très
compacte a fait l’affaire, le temps ne l'a pas désagrégée.
Les revêtements des sols en marbre poli, fait de marqueterie
de marbres ou de granits. la pierre vient d’Istrie.
Le décor est fait de maisons, de clochers et de ponts, un
décor facile à peindre, comme un découpage
presque naïf avec un ciseau d’enfant.
Venise n’est pas sur l’eau, elle est hors de l’eau
(pas toujours, les acqua alta lui mettent les pieds dans l’eau).
Comme une ballerine, elle se tient sur les pointes de ces pieux
pas très hauts, de deux à quatre mètres maximum.
Venise est d'ailleurs
Venise n’est pas là, n’est pas de là,
ses racines sont ailleurs. Elle n’a pas de racines, seulement
des troncs qui s’enfoncent dans la terre, dans la vase.
Rien ne vient d’ici, du lieu géographique appelé Venise :
les pieux proviennent des Balkans et des Alpes, le premier
sol, un plancher de bois, des forêts des Balkans aussi (les
Balkans ont été longtemps sous domination vénitienne).
Les briques, ces milliards de briques rouges, élément
atomique, jeu de construction géant qui a donné ces
architectures aux rouges indéfinissables
qui enserrent des éléments de pierre taillée,
sculptée.
Venise est une canopée
Venise est juchée sur une forêt. Les millions de troncs ébranchés
l’ont cloutée dans
la vase jusqu’à la carento, couche la plus dense du
limon alluvial qui offre l’élasticité qui les
empêche de se fissurer. Ces pieux sont cloués selon
la méthode simple et millénaire du marteau qui tape
pour enfoncer le clou. Ils sont en chêne rouvre, venant principalement
de France, d'Allemagne ou d'Autriche, un bois très résistant
qui peut rester dans l'eau des années.
Venise aime l’ogive
La rencontre d’artistes vénitiens, toscans et lombards
ont apporté une souplesse, une naturalité à la
lourdeur grandiloquente gothique, incluant des éléments
floraux et des feuilles.
Grâce à la croisée d’ogive, la poussée
n'est plus répartie tout au long du mur, mais concentrée
sur un point au sommet du pilier. Du coup, le mur lui-même
ne sert à rien et peut être vidé.
Ogive de œil, coin de l'œil horizontal et verticalisé angles
curvilignes semblables à ceux du coin de l'œil ou œuf
par sa forme.
Cette forme des fenêtres en « gothique fleuri » que
l’on retrouve partout devenue un des signes incontournables
du style vénitien. Une note toujours a même dans une
symphonie de formes étonnantes, découpées,
ciselées. Il suffit de dessiner cette forme pour qu’on
pense à Venise.
Chacun des signes de Venise est complexe : la gondole, le sol,
la fenêtre en gothique fleuri.
Venise est une gondole
L’autre
forme qui fait de suite penser à Venise,
c’est celle de la gondole (en fait il y en a plusieurs formes).
Cette drôle de barque dissymétrique à fond
plat avec une charpente en chêne, un fer de proue et un fer
de poupe ne ressemble à aucune autre. Chaque gondole est
constituée de 280 pièces de bois différents
(chêne, noyer, tilleul, sapin, acajou, cerisier, etc. La forcola,
cette pièce de bois indonésien
sur laquelle repose la rame unique en bois est incroyablement ouvragée.
Venise est un rêve
Les rêves ressemblent à Venise. Comme dans nos songes,
la réalité est changeante, énigmatique, contradictoire.
Ses mystères ne nous déconcertent pas. Ils sont constatés
avec insouciance.
Venise aime
Venise aime, elle aime
les hommes qui l’ont faite et qu’en
retour, elle a façonnés, car elle est l’humanité,
elle en est sa quintessence.
Née du désir de l’homme, elle est l’homme
projeté dans le monde. Si d’autres espèces
pensantes existent, elles ont sûrement leur Venise. Elles
sont Venise en plein, notre avenir en Venise.
Indépassable, humaine, tellement humaine, si entièrement
humaine qu’elle nous dit l’homme d’hier, celui
d’aujourd’hui et de demain.
Après Athènes qui a façonné l’antique,
Venise a fait naître l’homme nouveau, renaissant, allégé du
poids des divinités aliénantes, un homme traversant
son miroir.
Venise est un enfant
On regarde Venise avec la bienveillance accordée à un
enfant dont on sait les jeux frivoles nés des vanités
humaines, le regard amoureux comme celui d’une mère
sur son enfant, qu’elle aime tel qu’il est, chérissant
ses défauts
qui sont les empreintes de l’individualité, de l’indivisibilité de
son être. L’amour d’une mère est infini,
il est Dieu, il est le ciel, il est l’ailleurs mais pourtant
l’ici et maintenant, toujours, toujours là.
Venise
nous détache, nous libère
de nos liens
Venise nous tient comme l’enfant
la ficelle de son ballon. Nous sommes des ballons (gonflés
d’hélium), nous survolons Venise comme la pointe
de la souris sur l’écran
informatique. Et dans ce survol, apparaissent des mots, des images,
des odeurs, des visions déjà vues, des « je
me souviens ».
Venise est en marche
Marcheur impénitent qui depuis plusieurs décennies
parcoure les 117 îlots de la Sérénissime, flâneur
porté par un regard rassasié de formes, de couleurs,
de lumières, admirant sa beauté excessive, je piétine
ses âges.
A Venise, on marche sur l’eau comme Jésus et les moines
bouddhistes. Il n’y a plus de sols, mais des architectures
improbables qui émergent d’une eau sombre ou verte
ou bleu-vert, ou gris, ou de l’infini des couleurs, celles
des rêves mêmes qui sont changeantes.
Venise
aime l’art
Elle a fait naître et attiré peintres, architectes,
artisans qu’elle a ensemencé. Les commerçants ont voulu l’embellir plus qu’aucune
autre ville au monde.
La religion chrétienne, exaltée, exubérante,
m’as-tu vue, affirme son orgueil presque déplacé,
mais son charme d’enfant fou ou de vieillard frivole nous
séduit.
Venise est un masque
Le masque sans masque, miroir infini d’un univers fantasmagorique.
Venise aime l’or
L’or des façades, des eaux, de la basilique Saint
Marc, de la lumière au crépuscule lorsque les eaux
de la lagune sont recouvertes d’une pellicule d’or.
Comme si cela ne suffisait pas les marchands et les Princes l’ont
plaquée
d’or fin.
L’or a appelé l’or, la religion intégriste
des marchands, mais à Venise, on ne leur en veut pas. On
les comprend d’en avoir rajouté aux églises,
aux palais, sur les murs, les coupoles. Pour rivaliser avec le
soleil, pour lui dire de ne pas trop s’y croire, qu’il
n’est pas tout, que l’homme Prométhée
le défie, comme Vincent ou les tournesols qui le regardent
en face et en jouissent comme les cigales.
Le soleil, Venise peut s’en passer. L’or est partout
pour satisfaire nos sens. Les couleurs aqueuse fluidifiées
par l’humide qui règne.
Le vert dessous, entre l’eau et la pierre, entre l’eau
et le bois. Les « bricoles » sont
les pieux émergents liés par trois ou quatre, balisant
les chemins dans la lagune les routes des bateaux
Venise endort
Longues siestes et siestes pour se remettre de la sieste,
sieste le matin, après déjeuner, après l’amour,
avant de sortir, puis enfin longues nuits et grasses matinées
On dort bien à Venise, on a envie de sortir pour
voir la lagune, les canaux
Venise fait penser
Philosopher ici est naturel, quotidien, la lumière,
l’eau, la vie, tout se mélange et devient de la pensée,
recherche de sens.
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